JE Race et psychiatrie
Histoire des sociétés post-esclavagistes Brésil, Etats-Unis, Madagascar, Algérie, 1900-1960

Salle M019
Université Paris - Diderot , 8 rue Albert Einstein
Bât. Olympe de Gouges 75013 Paris
Métro : L14 et RER C Bibliothèque F. Mitterrand

Race et psychiatrie
Histoire des sociétés post-esclavagistes
Brésil, États-Unis, Madagascar, Algérie, 1900-1960

Journée d’étude organisée au CESSMA par Aurélia Michel
25 janvier 2019
9h30-17h

Intervenants : Élodie Grossi, Raphaël Gallien, Ynaê dos Santos, Aurélia Michel, Matthieu Renault
Discutants : Paul Schor, Didier Nativel, Rafael Gonçalves


Présentation
Dans la construction d’une science de l’homme qui se développe depuis le milieu du 18e siècle, le discours médical n’a cessé de progresser, donnant à la psychiatrie et la race scientifique un rôle important dans l’élaboration des
savoirs anthropologiques et sociologiques. À partir de la fin du 19e siècle, la science médicale opère une forte articulation entre race et pathologie mentale, en particulier depuis les sociétés post-esclavagistes et post-coloniales,
dans lesquelles la notion de race occupe alors un espace politique, social et intellectuel déterminant. Cette articulation sert tout autant un projet de contrôle social et de domination des populations racisées qu’elle permet de mettre à l’épreuve de l’expérience l’hypothèse physiologiste de la folie et de la race. Lors de cette séquence qui s’achève après la seconde guerre mondiale, à partir de laquelle la psychiatrie comme les sciences humaines se placent dans un rapport inversé avec la race et la folie, on peut identifier un moment charnière au tournant des années 1930, au cours duquel la « découverte de l’inconscient » par les scientifiques permet de « déphysiologiser » la race pour mettre en évidence les constructions culturelles, anthropologiques et sociologiques des comportements humains, et ainsi interroger l’ordre social. Au cours de cette journée, nous souhaitons discuter cette chronologie et les enjeux de l’interaction entre savoirs sur la race et sur la folie. Pour cela, nous confronterons différents terrains, tous traversés par la question raciale qui fait suite à l’abolition de l’esclavage et l’égalité théorique des droits dans ces États-nations : dans la France coloniale à Madagascar et en Algérie, aux États-Unis et au Brésil, autant d’endroits où la race pose en elle-même la question du politique et l’enjeu de l’émancipation. Chaque fois, nous observerons les acteurs de cette révolution intellectuelle, la plupart médecins et praticiens mais aussi patients, militants, sociologues, dans leurs pratiques et selon leur propre situation raciale et professionnelle dans ces différentes sociétés.

Résumé des communications

Elodie Grossi
Race, droits civiques et psychiatrie aux États-Unis : les actions en justice menées par la NAACP pour la défense des patients noirs internés dans les hôpitaux sudistes ségrégués (1920-1960)

Cette communication sera l’occasion de faire la socio-histoire des modalités de fonctionnement des hôpitaux psychiatriques du Sud des États-Unis entre 1920 et 1960 et de souligner les possibilités de résistance des patients noirs face à l’apparatus psychiatrique régissant leur quotidien. En se basant sur les archives juridiques de la NAACP, qui fut l’une des plus influentes organisations américaines de défense des droits civiques noirs au cours du vingtième
siècle, il sera question de démontrer la politisation de la psychiatrie dans le Sud ségrégué, ainsi que de révéler l’organisation des traitements psychiatriques visant à produire et légitimer la naturalisation des corps et
comportements « noirs » pathologiques.


Raphaël Gallien
Le fou colonisé : penser la race au détour de la folie à partir d’Anjanamasina (Madagascar, 1900-1960)

Si la thématique de la folie en Europe ne cesse de mobiliser les historiens depuis quelques décennies, la réalité est bien différente pour les Afriques. Madagascar n’échappe pas à cette inconnue. Or, si dans le fou c’est toute la société qui fait image d’elle-même, la question de la folie n’a été que peu mobilisée pour repenser l’histoire de l’État et des sociétés africaines à partir de leur marge. Ici, nous développerons quelques premières conclusions d’un travail qui examine la place du fou sous l’angle de la psychiatrie, en faisant émerger l’histoire d’Anjanamasina entre les années 1900 et 1960, seul établissement psychiatrique public de la Grande Île. Loin d’une écologie émotionnelle d’individualités et à distance d’une épistémologie des sciences (coloniales), nous proposons d’interroger l’outil asilaire comme un véritable laboratoire social et politique : en son cœur, la racialisation des corps et des esprits. En replaçant sur la longue durée une histoire institutionnelle face à des situations locales, il s’agira de poser la question d’une gouvernementalité spécifique qui, dépassant allègrement un jalonnement médical, permet de penser l’ordre colonial. Une grande attention sera portée aux médiateurs de la colonisation que l’on retrouve par exemple à Anjanamasina avec le médecin-indigène responsable de l’établissement entre 1906 et 1927, Paul Rabe. Prenant acte d’une ségrégation omniprésente, nous interrogerons l’établissement comme producteur de normes, véritable espace d’expérimentations et matrice d’une distribution qui se retrouve bien au-delà de la stricte enceinte asilaire.


Ynaê Lopes dos Santos
Race and Insanity in Juliano Moreira’s work

Juliano Moreira was an odd man : born in a poor family at the end of the 19th century, he was able to enter the Medical School at age 13 in the city of Salvador (Bahia) ; at the age of eighteen he was already a doctor and at the
age of 26 a professor of the same college in which he graduated. A few years later, he took over the direction of the Hospice of the Alienated in the Brazilian capital, becoming responsible for a true transformation in the treatment
of mental illness in the country. All this would already be noteworthy, but one detail is often not emphasized in Juliano Moreira’s biography : he was a black man who lived his childhood in the final years of slavery and all his adult life in a republic marked by ideals and policies openly racist. The present presentation intends to analyze how the condition of black man is inseparable from the medical and psychiatric transformations that Juliano Moreira implemented in Brazil during the First Republic (1889-1930).


Aurélia Michel
Race, hygiénisme et émancipation au Brésil (1900-1940)

La médecine brésilienne, comme dans d’autres sociétés post-esclavagistes, est au cœur de la définition de la citoyenneté et de la nation après l’abolition de l’esclavage en 1888 et la fondation de la nouvelle République. La
psychiatrie participe alors à définir les facteurs physiologiques qui pourront forger la nation, en soignant les corps et les esprits vers la modernité. Ce mouvement conduit tout autant à des politiques de contrôle social, des pratiques judiciaires et répressives dirigées vers le corps social et les corps noirs en général, qu’il implique une production inédite de connaissances, que ce soit dans le domaine psychiatrique et psychopathologique ou dans le champ des sciences humaines. Au croisement de la médecine sociale et de la politique culturelle, une révolution intellectuelle se déploie ainsi au tournant des années 1930, dont la découverte de l’inconscient est le pivot, et l’émancipation politique l’horizon.


Matthieu Renault
Psychopathologie du racisme : Baruk, Mannoni, Fanon

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, se produisit, dans les termes d’Étienne Balibar une « révolution copernicienne dans l’histoire de l’anthropologie » : au problème de l’identification et des différences raciales (dites objectives) se substitua l’examen des croyances (subjectives) en l’existence de telles différences ; la catégorie de « race » laissa en d’autres termes la place à celle de « racisme » comme objet du savoir anthropologique. De cette mutation radicale, opérée sous l’égide de l’UNESCO, le symbole demeure ce que Balibar encore appelle le « théorème de Sartre » : « Le Juif n’existe pas, c’est l’antisémite qui fait le Juif ». Nous voudrions montrer dans cette communication qu’en dépit, et peut-être en contrepartie du rôle qu’elle avait endossé dans la genèse des théories et politiques raciales, la psychiatrie, en dialogue étroit avec la psychanalyse, a été partie prenante de ce renversement via l’élaboration d’une théorie du racisme comme psychopathologie individuelle et collective. Nous nous pencherons
à cette fin sur trois figures pionnières de cette révolution : Henri Baruk, Octave Mannoni et Frantz Fanon.


Programme

  • 9h30 :
    Accueil et introduction par Didier Nativel (directeur du CESSMA) et Aurélia Michel (CESSMA)
  • 10h
    Élodie Grossi, Université Paris Diderot, URMIS/LARCA
    Race, droits civiques et psychiatrie aux États-Unis : les actions en justice menées par la NAACP pour la défense des patients noirs internés dans les hôpitaux sudistes ségrégués (1920-1960)
  • 11h
    Raphaël Gallien, Université Paris Diderot, Master Histoire et civilisations comparées
    Le fou colonisé ? Penser la race au détour de la folie à partir d’Anjanamasina (Madagascar, 1900-1960)
  • 12h
    Ynaê Lopes dos Santos, Fundação Getúlio Vargas, CPDOC (Rio de Janeiro)
    Race and Insanity in Juliano Moreira’s work

13h-14h30
Pause déjeuner


  • 14h30
    Aurélia Michel, Université Paris Diderot, CESSMA/URMIS
    Race, hygiénisme et émancipation au Brésil (1900-1940)
  • 15h30
    Matthieu Renault, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, LLCP
    Psychopathologie du racisme : Baruk, Mannoni, Fanon
  • 16h30
    Discussion avec Paul Schor (Université Paris Diderot, LARCA), Didier Nativel (Université Paris Diderot, CESSMA), Rafael Soares Gonçalves (PUC-Rio de Janeiro)
PDF - 676.6 kio
JE Race et psychiatrie 2019