Appel à communication pour une journée d’étude en juin 2013 sur "Citadinités subalternes en Afrique : trajectoires sociales alternatives, figures d’étrangers « du dedans »

Propositions de communication (résumé et titre) à envoyer par mail avant le 25 avril 2013.

Les propositions de communication d’une page (avec mention d’un titre provisoire et des travaux éventuellement déjà publiés sur le thème proposé) peuvent être envoyées par courriel à : thomas.fouquet@free.fr

Citadinités subalternes en Afrique : trajectoires sociales alternatives, figures d’étrangers « du dedans  »

L’expression de citadinité subalterne renvoie aux manières d’être-en-ville de celles et ceux qui, dépourvus de pouvoir social, économique et politique, tentent néanmoins de renégocier la position qu’ils occupent au sein de leur société. Ils y investissent la scène suivant des modalités distinctes de – parfois en opposition à – celles prescrites par les autorités sociales, politiques ou religieuses, et en des lieux souvent exclus de l’analyse du politique (le bar, le dancing, la rue, le cinéma, etc.).

La gestion étatique des « indésirables » dans les villes africaines a été bien étudiée, sous l’angle notamment du contrôle colonial des populations et de la stabilisation de la « famille indigène », des politiques sanitaires, des permis de travail et de résidence pour les femmes seules, ou encore de la promotion du tourisme après les indépendances. Cette dimension de contrainte tient une place centrale dans la réflexion que nous souhaitons mener, mais plutôt en creux, comme le reflet de forces sociales structurelles qui travaillent les configurations microsociales centrales aux discussions. La perspective subalterniste sera, en filigrane, soumise à interrogation critique : quels en sont les apports et la portée heuristique ou, au contraire, les limites voire l’inadéquation ?

L’enjeu est à cet égard d’identifier des frontières spatiales, temporelles et morales qui se substituent, se superposent ou se heurtent aux bornages pensés et imposés par le haut, renvoyant à autant de positionnements sociaux alternatifs. La notion de frontière doit à ce niveau être comprise dans son sens anthropologique de liminalité, d’entre-deux ou d’interstice.

Des travaux, anciens comme récents, ont insisté sur les modes d’inscription des populations migrantes dans l’espace urbain. A cette acception littérale de la figure de l’étranger, assimilable à un « étranger du dehors », peut être ajoutée celle de l’ « étranger du dedans ». Le bandit social, la prostituée ou la femme sans attache, le vagabond et le débrouillard (vendeurs ambulants, petits cireurs, coxer, rabatteurs et « intermédiaires en tout », etc.), en certains cas l’artiste : voici quelques exemples d’individus qui, bon gré mal gré, développent une expertise pratique de la ville, en y occupant des positions liminales sous l’empire du stigmate.
Longtemps qualifiés et traités en « indésirables » par les pouvoirs coloniaux puis postcoloniaux, ces individus ou groupes qui occupent des positions flottantes en ville ont néanmoins de facto joué des rôles centraux dans l’institution sociale et imaginaire des sociétés urbaines. Ils sont, de nos jours encore, les acteurs d’un dynamisme social et culturel qui se déploie à l’ombre des récits officiels ou hégémoniques de la modernité, dont la « bonne urbanité » a longtemps constitué une métaphore commode dans les sociétés africaines. Leur simple présence en ville, et plus encore les manières qu’ils ont de s’y mouvoir et de s’y produire, donnent à penser une autre physionomie de l’espace-temps citadin.

Les expériences multiples de l’altérité qui se dégagent de telles trajectoires sociales doivent permettre d’accéder à une meilleure intelligibilité des vécus citadins. Les conflits et guerres morales qui s’expriment en termes de « droit à la ville », la spatialisation des problèmes sociaux, les expressions religieuses minoritaires ou dissidentes, les loisirs et plaisirs urbains, certaines formes de création artistique (musique, cinéma, peinture, photographie, sculpture, etc.), les compétitions distinctives et la recomposition des hiérarchies sociales dont elles témoignent, les savoir-faire et savoir-être citadins, etc. Voici autant de thèmes introduisant à l’épaisseur à la fois historique et anthropologique des citadinités en Afrique.

La recherche francophone est longtemps restée aveugle à ces pratiques et expressions culturelles citadines, en raison notamment de la persistance d’un certain exotisme scientifique. Jusque dans les années 1970, les sciences sociales hexagonales ont privilégié la quête d’une « véracité » africaine dont la vie rurale ou villageoise était emblématique, a contrario des citadinités vues comme autant de symptômes de la disparition d’une Afrique des traditions. Ce champ d’étude reste ainsi marqué par un certain nombre de silences et d’apories, perceptibles sur les plans géographique et thématique notamment. Certains espaces urbains ont été bien étudiés sous l’optique des cultures populaires indociles qui s’y sont faites jour, tandis que d’autres ont au contraire été largement exclus de ces analyses. Les loisirs proprement citadins ont par exemple été amplement documentés au sein des grandes villes congolaises à travers les thèmes, emblématiques, de l’« ambiance » festive et des usages sociaux du bar. En forçant le trait, on pourrait dire que, là où les deux capitales congolaises seraient ambiance, rumba, sape et « femmes libres », le Sénégal urbain se définirait avant tout en termes de confréries religieuses, stabilité politique et bonnes mœurs. Indiscipline festive sur fond d’excès, de jouissance, de styles (musicaux, vestimentaires) et de frime d’un côté ; discipline politico-religieuse sur fond de sobriété et de « bonne gouvernance » de l’autre.
Derrière la caricature se dessine une hypothèse plus sérieuse : les trajectoires historiques des États africains, associées à l’étiquetage international dont ces mêmes États font l’objet aujourd’hui, surdétermineraient des thématiques de recherche pertinentes ou appropriées à chacun d’eux, instituant de facto un découpage pour le moins réifié. La carte d’identité académique d’un pays serait ainsi émise sur la base d’un nombre restreint de thématiques phares ou emblématiques, supposées caractériser au moins dans ses grandes lignes le chemin vers la modernité qu’il s’est frayé. Il y a là des tendances qui, pour le moins, appellent un examen critique en profondeur. Ces disparités doivent-elles être mises avant tout sur le compte de circonstances (historiques, politiques, sociales et culturelles) locales ? Le problème est notamment d’interroger le passé de chaque localité urbaine à la lumière de ces failles ou de ces apories : comment écrire l’histoire à partir de ces silences d’une part, et depuis les périphéries ou les marges urbaines d’autre part ?

L’ambition est ainsi de mettre en lumière des cheminements traversiers qui jalonnent la ville, participant de sa production sociale et culturelle. Ce décentrement du regard a parfois été opéré dans le champ artistique, et cinématographique notamment. Pour ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, deux films viennent à l’esprit : Moi un Noir (1958) de Jean Rouch, et Touki Bouki (1973) du réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambéty. Ces deux œuvres donnent à voir les flâneries, les rêves et les espoirs de jeunes citadins qui reconfigurent la ville sur le mode onirique, en quête de mondes plus vastes et d’autres destins. En tout état de cause, et sans prendre ces rêves pour la réalité, ces œuvres nous incitent à penser les capacités d’agir mais aussi les ressources imaginaires qui sont mobilisées face à des situations de manque, de contrainte et de subordination. C’est en ce sens que la notion de subalternité peut s’avérer heuristique, en évoquant à la fois un statut subordonné et des arts de la résistance – qui sont en l’espèce également des arts d’être-en-ville et d’être-au-monde – permettant d’y répondre.

Quatre lignes de pensée peuvent être déjà esquissées, sans que les propositions ne s’y réduisent nécessairement :
1. Créativité sociale et culturelle en situation de relégation ou de subordination : penser les dynamiques de la marge sur la longue durée.
2. Traductions spatiales, temporelles, matérielles et corporelles : esquisser les contours de la ville comme lieu pratiqué, i.e. produit des usages sociaux qui y sont déployés.
3. Féminités et masculinités de contestation : trajectoires sociales genrées et spatialisation du stigmate.
4. L’artiste comme témoin, son œuvre comme archive ? Usages analytiques du témoignage cinématographique, romanesque et/ou plastique pour la compréhension des imaginaires urbains.

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